Le vagabondage de l'année civile égyptienne
Au vu des inscriptions hiéroglyphiques figurant sur la ligne horizontale supérieure, il apparaît que chacune des vingt horloges stellaires fonctionnait sur la base de l'année civile égyptienne constituée de 365 jours répartis en 36 décades auxquelles furent ajoutés 5 jours supplémentaires (Hryw rnpt). Un sixième jour "épagomène" ne leur étant pas régulièrement adjoint, ce calendrier civil vagabondait : tous les quatre ans, le Jour de l'An, Wepet Renpet, (, wpt rnpt) survenait un jour plus tôt, en effet; tous les quarante ans, une décade plus tôt ; et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'il coïncidât de nouveau avec le premier jour de la première décade du premier mois de l'année (I #Xt 1), quelques 1460 ans plus tard. Au terme de cette période, le Jour de l'An coïncidait de nouveau avec le jour du lever héliaque de spd - Sirius, soit avec le jour de sa sortie de la Douat (, ew#t), après qu'elle fut demeurée invisible quelques 70 jours durant, nous disent les textes. Aussi cette période de 1460 ans fut-elle qualifiée de "sothiaque".
Une telle apokastasis, rapporte le grammairien et chronologiste Censorin dans son "De Die Natali", se serait produite en l'an 139 de notre ère, ce qui permet de précisément dater chacune des occurrences précédentes, à quelques quatre années près. Une semblable conjonction temporelle se serait ainsi produite sous le règne du pharaon Séthi I, en l'an 1321 avant notre ère ; au tout début de l'Ancien Empire également, soit en l'an 2781 avant notre ère, époque à laquelle remonte probablement la constitution du calendrier civil égyptien.
D'horloges stellaires en plafonds astronomiques
Sur les horloges stellaires n°1, 2, 3, 7, 9 et 10, l'étoile spd - Sirius (décan 31) figure au bas de dix-huitième colonne. Ce qui signifie qu'elle fut utilisée à marquer la douzième et dernière heure de nuit quelques 170 jours après le début de l'année civile égyptienne, soit à compter du II prt 21 - vingt-et-unième jour du second mois de la saison Peret. Au tout début du XXIème siècle avant notre ère, le II prt 21 coïncidait avec la date de lever héliaque de l'étoile Sirius en un lieu de latitude memphite, soit avec le 17-18 juillet. Entre l'an 2781 et l'an 2742 avant notre ère, ce phénomène astronomique survenait quelques 170 jours plus tôt, soit le I #Xt 1. Une horloge datant de l'an 2781 à l'an 2742 avant notre ère aurait donc probablement listé le décan 31 au bas de la toute première colonne, suggérant par là même que les horloges des groupes A1 et A2 fonctionnaient sur la base de l'observation des levers successifs d'étoiles (82). Il s'ensuit la datation possible des horloges n°1, 2, 3, 7, 9 et 10 - plus généralement, des horloges n°1 à 11 - de l'une des années (2781 - 4 x 170 =) 2101 à (2781 - 4 x 179 - 3 =) 2062 avant notre ère, soit de la seconde partie de la Première Période Intermédiaire, et la quasi-simultanéité de leur conceptio.
D'horloges stellaires en plafonds astronomiques
L'étude du contexte historique nous a permis de dater les horloges attribuées à Ashyt (n°8), Iker (n°9) et Hekat (n°10) ainsi que l'horloge n°11, soit l'ensemble des horloges formant le groupe A2, de la dynastie XI, directement concurrente des dynasties IX-X. La condition de quasi-simultanéité de conception des horloges n°1, 2, 3, 7, 9 et 10 établie auparavant ainsi que leur origine géographique - Assiout, au nord du nome thinite - implique de dater les horloges de Meshet (n°1), It-ib (n°2) et Khou en Seker (n°3) - plus généralement, les horloges constituant le groupe A1 - de cette époque à laquelle le nome thinite n'avait pas encore été conquis par les princes thébains, soit des dynasties IX-X. Ce résultat est conforme à l'hypothèse formulée par Otto Neugebauer et Richard A. Parker (84).
Bien qu'elles aient été découvertes en des lieux différents, les horloges constituant les groupes A1 et A2 présentent des arrangements stellaires similaires. Ce qui plaide en faveur d'une origine commune, vraisemblablement memphite - les Hérakléopolitains succédant aux souverains memphites des dynasties VII et VIII -, puis d'une diffusion en Moyenne et Haute Egypte, à la faveur des événements historiques. C'est en tout cas ce que suggère la position occupée par l'étoile Sirius au bas de la 18ème colonne. Ainsi l'arrangement des décans au sein de ces horloges résulterait-il d'observations conduites par les astronomes de Basse Egypte, résidant au coeur de la région memphite.
Parce qu'elle contient de nouvelles étoiles - ces décans notés 3a, 3b et 14a, en lieu et place des décans 3 et 14 -, la grille de Khou En Seker (n°12) semble quant à elle marquer le début d'une rupture avec les grilles précédentes. Cette rupture ne fera que s'accentuer au fil du temps, ainsi que le contenu des horloges numérotées 13 à 19 l'atteste. Aux horloges constituant le groupe Tm#t (A1, A2 et B) succèderont ainsi les horloges formant le groupe knmt (D1, D2 et D3). Et ce, à des fins d'ajustement au calendrier civil, selon Otto Neugebauer et Richard A. Parker (85), d'une part, Kurt Locher (86), d'autre part : "Il semble probable que les horloges stellaires des Xème et XIème dynasties, devenues très corrompues et inutilisables, tout au moins les cinq derniers jours de l'année, aient subi une révision radicale au cours de la XIIème dynastie, comme le laissent à penser l'introduction de plusieurs nouveaux décans et la disparition de nombreux anciens décans" (87). En particulier, l'horloge stellaire de Shemes (n°19) constituera le prototype de certaines listes ornant les édifices du Nouvel Empire, telle celle figurant au plafond de la chambre sépulcrale de Senmout (Deir el-Bahari, dynastie XVIII).
Examinons plus en détail à présent les répercussions du vagabondage de l'année civile égyptienne sur le contenu des horloges stellaires. Les horloges n°1 à 11 formant le groupe Tm#t possèdent toutes la particularité de mentionner le décan 1 (Tm#t Hrt) en première position; la position occupée par le décan 31 (spd) au bas de la 18ème colonne nous a par ailleurs permis de les dater de l'une des années 2101 à 2062 avant notre ère. L'horloge attribuée à Khou en Seker (n°12) mentionne elle aussi le décan 1 en première position ; en revanche, le décan 31 y figure au bas de la 19ème colonne - en raison de la différenciation du décan 3 (wS#t bk#t) en décans 3a (wS#ti) et 3b (bk#ti) ; ce qui se traduit par la possible datation de cette horloge stellaire de l'une des années (2781 - 4 x 180 =) 2061 à (2781 - 4 x 189 - 3 =) 2022 avant notre ère, soit du règne du pharaon Montouhotep II. En toute rigueur, cette horloge, comme toute horloge conçue quelques quarante années après celles des groupes A1 et A2, aurait dû mentionner le décan 1 en seconde position ; un décan numéroté 37 serait alors apparu en première position ; le décan 3 n'aurait pas été scindé en décans 3a et 3b et l'étoile Sirius (décan 31) figurerait bien au bas de la 19ème colonne. Plus généralement, une horloge conçue n x 40 ans après celle de Meshet (n°1) et selon le schéma de l'horloge de Meshet, devrait logiquement mentionner le décan 1 en (n + 1)ème position et le décan 31 en (n + 18)ème position ; n décans numérotés 37, 38, 39, 40, 41, etc. devraient par ailleurs figurer avant le décan 1.
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